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Par Rémy Daillet-Wiedmann

12 octobre 2014 20:00

Il y a une phrase très typique des Français actuels, l’une de ces phrases révélatrices, qui dit, dans tous les faubourgs, sur tous les trottoirs: « Je suis croyant(e), mais pas pratiquant(e) ». Rien peut-être n’est plus banal. Elle a des mérites, cette petite phrase, pour réussir à accumuler l’erreur, un syncrétisme béat et inepte, l’ignorance, l’égoïsme et la lâcheté.

L’erreur, parce que la vérité, comme le disait un prêtre, est exactement contraire : une personne qui dit qu’elle croit mais ne pratique pas, en réalité pratique (peut-être), mais ne croit pas. Quiconque dit cela n’a de foi qu’en ses propres œuvres, en ses propres convictions, c’est-à-dire en rien qui ne fasse une Foi. C’est n’est rien d’autre qu’une vanité ordinaire. Celui-là croit en ce qu’il fait, ce qui est réellement ne croire en rien… 

Un syncrétisme béat, parce que cette espèce d’amour flou pour toutes les « pensées » les trahit toutes, car toutes elles sont radicales et entières. Et qu’on n’y mette pas dedans la pensée catholique, parce qu’elle est plus exclusive encore que les autres et que son exclusivisme lui vient par définition de son universalité (ce que signifie son étymologie) : elle les regroupe toutes en ce qu’elles ont de vrai et ne se dissout dans aucune en les couronnant. Au faîte, il n’y a qu’un point.

Si l’on aime l’Egypte, alors on va à la messe, puisque l’Egypte annonce la Révélation ; mais oui, on l’ignore trop, la Passion, le baptême, la Nativité, la résorption de toute faute, tout est annoncé depuis longtemps, et espéré sur les bords du Nil ! Si l’on aime Bouddha, alors on déteste l’autosatisfaction et l’on se dépouille de toute opinion définitive, on se met tout de suite en pratique, on entre furieusement dans la mêlée sans passion, on saisit tout sans rien saisir en particulier et en ce cas la vérité éclate : le mystère de l’incarnation a enfin un sens, il est non-agir, non-possession, il est rupture avec la culture du non-être, il est absolu, et incompréhensible, et donc le mystère existe, que le miracle de la vie révélée (qui porte sens) accomplit et cela produit tôt ou tard, comme pour Jacques, la rencontre du Ressuscité. Si l’on se veut zen, on est près à mourir sur place, car on se veut une folle mort : on sait que le plus haut sacrifice, c’est de mourir pour autrui, ainsi que le Christ l’enseigna. Plus vilement, si l’on se veut maçon, c’est par ambition ; cathare, c’est par vague antimondialisme de fumeur de joint ; musulman, c’est par soumission et grégarité ; philosophe, c’est par hédonisme et sans doute, aussi, par orgueil ; feng shui, c’est par snobisme et par angoisse ; et tout cela conduit inéluctablement au Jugement, qu’il vaut mieux hâter.

Et bien d’autres choses, par croyance, à cause d’une quantité incroyables de croyances, de ces croyances qui n’ont rien, mais alors rien à voir avec la Foi et tout à voir avec l’opinion.

Surtout quand ce n’est rien de cela en particulier, car c’est surtout la dilution des idées qui fait aimer tout. Demandez-leur, à ces tolérants qui ne vont pas à la messe, ce qu’est le zen, ils penseront à des jardins japonais et au thé vert, comme si le chevalerie médiévale se résumait au pinot des Charentes. Interrogez-les sur les Cathares et ils vous ressasseront « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens », la phrase qui n’a jamais été prononcée par Simon de Montfort, et outre cela, ils seront bien incapables de vous dire qui, quand, quoi, comment les Cathares vivaient et quelles étaient leurs valeurs (à moins qu’ils soient vraiment des adeptes du national-socialisme des années 30, ce qui en est encore le plus proche). Lorsqu’on est incapable de dire plus que trois idées convenues, ce n’est alors que l’éternelle vanité prolétaire, l’éternel snobisme populacier, qui veut se donner l’air d’être libre et d’être ouvert à tout. Pour mieux dire : ce n’est qu’un réflexe convenu, une posture formatée et un horizon de plateau cinéma.

Egoïsme, car ce genre de pensée ignore tout ce que nos prédécesseurs nous ont donné et tout ce que le Créateur a donné, à commencer par la vie.

Quant à la lâcheté, n’éclate-t-elle pas aux yeux, lorsqu’on cède aux idées communes, en quelques mots, « Je suis croyant mais pas pratiquant », dits pour se donner un air intelligent en se couvrant d’une banale originalité et pour sous-entendre « je ne suis pas chrétien, je ne suis pas chrétienne. Catholique ! Mon Dieu, moins encore ! ». Lâcheté lorsqu’on tait son baptême, qu’on accepte que sa civilisation soit regardée à peine à l’égale des autres, au risque de se faire couper la gorge à force de n’avoir rien fait pour la défendre ; qu’on se dégage de tout engagement au profit d’une prudente distance à tout ; d’une distance méprisante au sacrifice ultime que le Seigneur nous offre et pour lequel on ne bougerait plus un petit doigt ; qu’on se livre pieds et poings liés dans un relativisme qui s’habille de philosophisme, et, dès qu’on pousse un peu au rapport de force, qui se révèle, au vrai, une posture d’esclave pour qui la meilleure cause est, à tout prendre, celle qui domine les modes du temps.